Mon parcours dans le milieu de la course au large est assez atypique. Il aura fallu que j’attende quasiment la date anniversaire de mes 50 ans pour vivre ce dont j’ai toujours rêvé : faire du sport et de la course au large, 100 % de mon temps.
Je suis aujourd’hui coureur au large professionnel après une carrière de cadre commercial dans le domaine technique. J’ai toujours aimé cette idée qu’il fallait croire en ses rêves, ne jamais rien lâcher. C’est une des facettes du dépassement de soi, le besoin de se prouver à soi-même que l’on est capable d’arriver, voire de dépasser les limites déjà ambitieuses que l’on s’est fixées.
J’ai donc aujourd’hui le privilège de vivre de ma passion depuis maintenant trois ans.
J’entends parfois des proches ou simplement des gens de rencontre toujours pleins d’empathie me dire « Quelle chance tu as de vivre ça… » C’est vrai, j’avoue, tous les matins en me réveillant j’apprécie ce qu’est devenue ma vie aujourd’hui, mais je sais aussi que la chance n’a compté que pour une infime partie de mon changement de vie.
De la chance, il en faut un peu, mais c’est avant tout, je pense, une énorme envie d’arriver à ce but, une passion pour les bateaux et la course au large indéfectible, parfois des sacrifices, et le reste, du travail, qui a fait que j’ai pu apporter à ma vie ce changement radical.
J’ai toujours adoré le sport et plus particulièrement la compétition dans le sport, au point de me demander parfois d’où me vient ce goût de l’effort physique.
Depuis mes plus lointains souvenirs, j’ai toujours été un des plus petits par la taille parmi mes camarades. En y réfléchissant bien, mon éternel besoin de me dépasser pourrait bien venir de ce trait physique qui finalement, au fil des années, m’a aidé à acquérir une grande force mentale et qui, même sûrement, a fini par devenir un atout.
J’ai pratiqué en compétition, plutôt en général à un bon niveau, bon nombre de disciplines différentes et extrêmement variées comme le football, le cyclisme, le funboard, le taekwondo, la voile évidemment… Avec toujours en fil rouge un regard vers la mer, même quand les sports dans lesquels j’évoluais n’avaient strictement rien à voir avec le milieu marin.
Jeune, avec mes parents, jamais nous ne manquions un départ de course tels ceux de la Route du Rhum, de la Transat Jacques Vabre et, bien évidemment, un peu plus tard, celui du Vendée Globe. Je me souviens avec quelle admiration et avec quelle énorme envie de les imiter je regardais ces femmes et ces hommes qui osaient partir affronter l’océan.Il est évident que le métier de coureur au large que je pratique aujourd’hui a été fortement influencé par tous ces souvenirs d’enfance.
Le sport m’a beaucoup aidé dans ma vie à toujours repousser mes limites, c’est une formidable école de vie. La première fois que j’ai vraiment compris ce qu’était le dépassement de soi, c’est sur un vélo en compétition. Dépasser le moment où le corps refuse d’aller plus loin et, par la force mentale, aller chercher le « second souffle ». Le moment où l’on commence à retrouver des sensations, où les douleurs physiques laissent place à des mouvements réflexes dus aux heures d’entraînement.
Dans la course au large, le dépassement de soi prend tout son sens, notamment en solitaire où l’on ne peut compter que sur soi-même une fois les équipes descendues du bateau, juste avant le départ.
En IMOCA, lorsque la course est lancée, toutes les décisions prises nous incombent. Non seulement sur le plan sportif, mais aussi concernant notre sécurité, l’entretien technique du bord, la communication vers l’extérieur pour ne citer que ces exemples.
Tout cela apporte une pression supplémentaire à la dépense physique que nous imposent ces machines magnifiques mais hyperpuissantes, à laquelle peut venir rapidement s’ajouter le manque de sommeil, notamment quand les conditions météo se durcissent.
On sait qu’il est impératif de gérer cette fatigue et ce stress sous peine de se retrouver rapidement dans des situations délicates, voire dangereuses, mais quelques fois, quand les dépressions se succèdent, nous imposant de nombreuses manœuvres, changements de voiles et matossages si énergivores, sans avoir le temps de récupérer entre deux, on peut vite se retrouver dans nos derniers retranchements. On peut parfois ressembler à un boxeur groggy, affalé dans les cordes… Là, pas le choix, il faut faire front, résister, repousser ses limites, aller chercher au plus profond de soi ce que l’on ne soupçonnait pas de force physique et mentale, faire attention au bateau, ne pas casser, prendre soin de soi, ne pas se blesser, utiliser le moindre moment de répit pour se reposer, boire, manger… On revient aux fondamentaux existentiels : garder, malgré l’épuisement, un maximum de lucidité pour agir plutôt que réagir, faire le gros dos en mettant parfois, dans les plus durs moments, la course entre parenthèses. Il s’agit parfois tout simplement de sauver sa peau et le bateau.
C’est un peu ce que j’ai pu vivre lors de la première semaine de Transat Jacques Vabre en 2015. Trois très grosses dépressions se sont enchaînées, générant des vents à plus de 50 nœuds que nous avons affrontés au près dans un golfe de Gascogne déchaîné. Bon nombre de bateaux, autour de nous, cassaient ou se retrouvaient à l’envers pour certains. On se sent parfois tellement fragile au milieu de ces éléments en furie que l’on peut se demander ce que l’on fait là.
C’est dans ces moments qu’il faut aller puiser au fond de soi l’énergie nécessaire malgré l’épuisement et le stress pour gérer la situation, ne pas faire l’erreur qui risquerait de mettre l’homme et le bateau en danger, faire front sans casser pour pouvoir rester en course.
Lorsque l’on sort indemne d’une semaine comme celle-ci, blotti comme un animal dans son terrier, il en résulte un sentiment de soulagement indescriptible. Je ne me suis jamais senti aussi vivant qu’après des jours comme ceux-là. Il faut l’avouer, il y a aussi une certaine fierté d’avoir réussi à passer l’épreuve, de s’être dépassé à ce point. On est regonflé à bloc pour finir la course de la plus belle des manières.
Le Vendée Globe est la course ultime pour un coureur au large
Le Vendée Globe est la course ultime pour un coureur au large, c’est « la » course où le dépassement de soi prend tout son sens, un défi hors norme. On ne sait évidemment pas à quoi ressemblera ce tour du monde en solidaire, sans assistance et sans escale. Heureusement, il peut se passer tellement de choses… Ce ne sera pas facile. Il y aura des moments de galère, sûrement des moments de doutes, des moments magnifiques aussi je l’espère, et de nombreuses incertitudes, mais ce dont je suis sûr, c’est que je donnerai tout ce que j’aurai de force, d’abnégation, de volonté, de persévérance pour aller au bout de ce tour du monde sur Groupe SÉTIN. J’aimerais tant connaître et partager l’immense bonheur de remonter le chenal des Sables après avoir bouclé la boucle.
Il y a tellement de gens autour de moi qui le méritent.
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