L’Atlantique n’est pas uniquement un océan. Pas simplement une vaste étendue d’eau salée, animée par de simples courants où l’on pourrait imaginer envoyer sa grand-mère des îles Canaries à bord d’une baignoire, pour la retrouver quelques semaines plus tard de l’autre côté, aux Antilles. L’Atlantique a été mon terrain de jeu pendant de nombreuses années et il l’est encore aujourd’hui. Après l’avoir déjà traversé plus de dix fois, en long, en large et en travers, je suis désormais certain qu’aucun autre océan n’offre autant d’histoires et de magie.
J’ai eu la chance d’en faire plusieurs fois le tour et aucune traversée n’a jamais été pareille à une autre. Tant du point de vue de la navigation que de celui de l’art. Oui, de l’art, car les panoramas qu’il offre sont dignes de ceux d’un film de Spielberg ou d’une toile de maître. D’abord, ses îles et ses côtes nous laissent le souffle coupé puis le cœur gros. Ensuite, sa houle si imprévisible et son écume de vagues nous accompagnent, tout comme ses nuages, ses grains, ses levers et couchers de soleil…
Magnifique mais aussi tellement capricieux et ingérable. Passer d’une mer douce et tranquille, avec comme seuls bruits ceux d’une voile qui vient contrer la houle sous le roulis du bateau ou d’une écoute qui claque, à une mer tourmentée et violente, soufflant la moindre éclaircie qui oserait pointer le bout de son nez.
Capricieux mais aussi mystérieux…
Capricieux mais aussi mystérieux… Les Bermudes, les Açores. Ces endroits ont fait couler beaucoup d’encre. Mythes ? J’en étais convaincu. Mais aujourd’hui, je sais que l’Atlantique cache son jeu et demande une attention toute particulière.
J’ai passé ma jeunesse à voyager sur ses eaux, de port en port, à reprendre la barre de notre voilier de voyage pour aller rencontrer d’autres cultures, d’autres histoires. C’est dans l’Atlantique que j’ai croisé un « mythique » grain blanc sur notre route, telle une main qui vient du ciel pousser les voiles, jusqu’à ce que le mât plonge dans ses eaux chaudes. C’est aussi dans l’Atlantique que j’ai vu les nuages défiler à vitesse grand V, le nez sur le baromètre, à voir la courbe se péter la figure… Ah, c’était un cyclone ! L’Atlantique n’a rien à envier à ses petits camarades de contrées éloignées. Il possède tout pour nous rendre heureux, tout comme pour nous faire vivre les pires cauchemars.
Durant le Vendée Globe 2016, je me rappelle l’étrave de mon fidèle compagnon de route qui venait de dépasser le cap Horn. C’était pour moi la délivrance, j’allais enfin retrouver mon océan préféré. La peur du grand Sud et de ses vagues énormes était derrière moi. Mais il n’en fut pas ainsi… Je replonge dans mes souvenirs, c’est comme si le monde s’était arrêté. Je revois encore cette image de mon voilier de 18 mètres, fatigué d’avoir parcouru un tour du monde, rester collé sur une mer lisse, sans le moindre souffle d’air. L’aventure allait finalement se prolonger, après déjà 70 jours de mer. L’Atlantique s’est-il acharné sur moi ? Aucune idée, mais la route fut bien longue. Très, très longue. Mon bateau et moi étions comme retenus par son ancre, comme si l’océan Pacifique nous avait jeté un sort et voulait nous garder prisonniers.
Les jours et les semaines sont passés aussi lentement que les milles sous notre coque. Il fallait garder le moral, regarder devant, visualiser cette ligne d’arrivée qui n’était finalement plus très loin. Viser les copains de devant aussi, car ce n’est qu’avec 24 heures d’avance que mes deux plus proches concurrents passaient l’équateur pour toucher 20 nœuds de vent de travers, en route vers leur victoire. Pour moi, ce ne fut pas la même histoire : 30 nœuds de vent au près serré, à 30 degrés de la route menant à la ligne d’arrivée.
Peut-être s’est-il donc acharné contre moi, mais lorsqu’un marin termine son aventure, quelle qu’elle soit, quelle que soit la distance parcourue ou les dangers rencontrés en mer, il doit remercier l’océan. Ce n’est qu’en posant pied à terre que l’on se rend compte que rien n’était si terrible que ça. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous y retournons sans arrêt.
Un marin n’a pas besoin de grand-chose : du tissu en guise de voiles, un poteau comme mât et n’importe quoi qui flotte pour coque. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un terrain de jeu. Vous connaissez désormais le mien et je m’y suis si souvent senti tel un poisson volant, à suivre tant bien que mal ma trajectoire de vol entre deux vagues, tout en m’en prenant une bonne de temps en temps dans la figure, histoire de me rafraîchir un peu. La course au large m’éloigne quelque peu de cette approche de la navigation. Je me trouve, aujourd’hui, bien loin d’une promenade côtière ou d’une transatlantique en famille. Il n’en reste pas moins que j’ai tout appris avec toi, « petit » océan.
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